Lecture du mois

Nietzsche ou le déclin de l'esprit

L'auteur : Gustave Thibon (1903-2001), fils et petit-fils de paysans ardéchois a dû arrêter ses études à 13 ans pour aider ses parents. Passionné de poésie, il manifeste dès l’adolescence des dons prodigieux qui lui permettent de devenir, à 26 ans, celui en qui l’élite intellectuelle de l’époque reconnaît un grand esprit. Tout en travaillant la terre, il se lance en autodidacte dans de vastes lectures, en particulier les grands philosophes et les mystiques et apprend seul latin, grec, mathématiques, allemand.

Philosophe, intellectuel catholique, conférencier à travers le monde, Gustave Thibon publie une vingtaine de livres remarquables par l’originalité de sa pensée et l’intensité de sa quête spirituelle. Citons, L’Échelle de Jacob, Retour au réel, Ce que Dieu a uni, Le Pain de chaque jour, Notre regard manque à la lumière, L’Ignorance étoilée et L’Illusion féconde. En 1941 il accueillit chez lui Simone Weil, la rencontre de sa vie, dont il publiera, en 1947, un extrait de ses cahiers : La pesanteur et la grâce. Il reçut le grand prix de littérature de l’Académie française en 1964 et le grand prix de philosophie en 2000. En 1993, à 89 ans, il écrit Au soir de ma vie, mémoires et bilan d’une existence fertile.

Si ce livre est avant tout une critique de la pensée nietzschéenne, il n’en reste pas moins une forme d’hommage à celle-ci sur de nombreux points. En fait, Thibon ne cherche pas à attaquer celui qui voulut briser sa religion, qui a toujours dit la condamner, il cherche à comprendre un combat intérieur, un combat humain, trop humain, pour reprendre un mot de Nietzsche lui-même. L’ouvrage peut se décomposer en deux grandes parties : d’abord une critique, constructive, de la pensée de Nietzsche, avec ses propres armes, ses propres outils intellectuels, puis une critique sur la forme, celle que pourrait faire tout intellectuel qui analyse l’oeuvre d’un auteur qui lui est inconnu, par la logique pure. Mais l’accent est mis sur le lien entre l’homme et la pensée et c’est tout l’intérêt de ce livre. En effet, Gustave Thibon ne cherche à aucun moment à combattre les idées de celui qu’il critique, il va admirablement relever la grandeur de cette pensée, la pureté de cette volonté, pour montrer in fine, que Nietzsche aurait pût être un grand mystique, un des esprits les plus purs du catholicisme. Thibon va donc nous faire découvrir les raisons pour lesquelles cet homme tourmenté qu’est Nietzsche critique la morale et la religion : il les trouve bien trop belles et pures pour les vertueux et les croyants, les raisons pour lesquelles il refuse toute faiblesse : il est trop conscient de sa propre faiblesse… Et ainsi de suite. Par conséquent,  Thibon ne va pas se livrer, dans cette étude, à une condamnation systématique des paroles de Nietzsche, comme aiment souvent le faire les philosophes et intellectuels entre eux, il va organiser son procès en se plaçant lui même avocat de celui à qui il s’oppose.

Ce livre est une étude de la philosophie de Nietzsche au travers de sa personnalité, de ses contradictions et de son approche, fondamentalement égoiste, de l'Homme. Sans adhérer, ni totalement, ni même partiellement, à sa pensée, Gustave Thibon montre que Nietzsche est en fait peu connu ou plutôt qu'il est surtout connu, adulé ou honni, par les interprétations idéologiques de sa pensée.

Un livre qu'il faut lire pour comprendre à la fois ce qui sépare fondamentalement le christianisme des idéologies totalitaires modernes et ce qui, dans la philosophie de Nietzsche, est très traditionnel. Le style et la pensée de Gustave Thibon sont, comme toujours, simples et profonds parce que limpides.

Sparte et les sudistes

«Ce que j'appelle Sparte, c'est la patrie où les hommes sont considérés en raison de leurs qualités viriles qui sont mises au-dessus de toutes les autres. Ce que j'appelle les Sudistes, ce sont les hommes qui s'efforcent de vivre selon la nature des choses qu'ils ne prétendent corriger qu'en y ajoutant de la politesse et de la générosité. »Voilà expliqué, par l'auteur lui-même, le titre à priori obscur de cet ouvrage. 

Sparte est une idée, c'est une attitude devant la vie, le refus de la médiocrité, la reconnaissance de l’inégalité des hommes devant l'épreuve, le mépris de la mort ; c'est une image que l'on se fait de l'humain et qui doit servir de guide. Mais tous ne sont pas des héros, tous ne peuvent pas être des héros, et les Spartiates sont là pour les défendre, pour être aussi des modèles qui, à l'instar des saints pour les chrétiens, donnent la direction à suivre sans jamais juger ceux qui n'ont ni leur noblesse ni leur courage. Car l’humanité ne peut être toute spartiate ; elle à besoin du bonheur de vivre qu'incarnent les Sudistes, « cette part de l'espèce humaine qui veut [...] respirer quelque chose qui ne soit pas frelaté, fabriqué, un air propre, tel qu'il était au commencement du monde ». Les Sudistes sont ces êtres lumineux qui ont fécondé l'histoire : on les rencontre chez les Gibelins, auprès des Albigeois, à Byzance... Ils sont tous ceux qui sentent une contradiction profonde entre le mode de vie qu'on tente de leur imposer et leur instinct. Le Sudiste est celui qui ne veut être ni « le triste insecte appelé travailleur » ni le Yankee qui à triomphé, et avec lui le roi dollar, « la société de consommation, la publicité, le conformisme, la monotonie, et les longues, les immenses plaines de l'ennui et de l’absurdité». 

Nous sommes chacun, un peu plus ou un peu moins, Spartiate ou Sudiste au gré des circonstances : « Que le Spartiate en nous réponde donc à l'heure du péril, et même qu'il veille toujours en chacun de nous [...], mais qu'il sache qu'il n'est lànque pour protéger le Sudiste en nous, pour lui permettre d'être. » L'auteur :Maurice Bardèche (1907-1998) est un écrivain et biographe français, agrégé de lettres. Spécialiste du XIXe siècle, il enseigna à la Sorbonne et à l'université de Lille. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont le célèbre et visionnaire Nuremberg. »

Journal d’un homme occupé

Robert Brasillach concevait le Journal d’un homme occupé comme une suite à Notre avant-guerre. Ces deux œuvres relèvent du genre des mémoires, dans lequel excelle l’écrivain, très sensible à tout ce qui fait l’atmosphère d’une époque ou d’une année. Cependant, il existe une différence non négligeable entre les deux chroniques. Notre avant-guerre est une œuvre achevée et revue par l’auteur lui-même, qui en vit la parution de son vivant, en 1941. Le Journal d’un homme occupé, en raison de la fin tragique de Robert Brasillach, est un ensemble de textes, tous écrits par lui, certes, mais dont le montage a été réalisé, après sa mort, selon les instructions qu’il avait laissées. Les éditions Les Sept Couleurs en assurèrent la première publication, en 1955.  Le Journal n’en est pas pour autant une œuvre mineure. De bons juges ont vu en lui un document historique de première importance.

Il regorge, en effet, de notations qui révèlent, sans tricherie ni arrangement a posteriori, l’état d’esprit et le comportement des Français, depuis la défaite et l’armistice de juin 1940 jusqu’aux mois de l’Épuration en 1944-1945.

Le Journal permet aussi de comprendre l’itinéraire politique de Robert Brasillach durant l’Occupation. Cette œuvre éclaire, en particulier, ce qu’a représenté la captivité pour l’écrivain : non seulement une épreuve personnelle, qui l’a séparé de son propre passé, mais aussi une épreuve pour la France, déjà saignée à blanc par la Grande Guerre et de nouveau privée de milliers d’hommes retenus prisonniers. Pour faire revenir les captifs, pour lutter contre la malfaisance sans égale du communisme, dont la vision de Katyn l’a plus que jamais convaincu, Robert Brasillach en appelle à une entente entre la France et l’Allemagne et, pour l’avenir, à une Europe des nations, respectées dans leur diversité.

Et puis, en sourdine, sans ostentation mais sans ambiguïté non plus, l’écrivain laisse parler sa foi catholique, dont les Poèmes de Fresnes seront l’aboutissement, à la fois douloureux et lumineux.